Soudan: un an aprùs, ce qu’il faut savoir sur le conflit

Il y a vingt ans, en 2003, le conflit au Darfour Ă©clatait. Bilan humain : 300 000 morts et prĂšs de 2 millions de personnes dĂ©placĂ©es. AprĂšs des annĂ©es d'instabilitĂ© et d'insĂ©curitĂ©, le pays fait face Ă  une nouvelle flambĂ©e de violence depuis le 15 avril 2023. Les auteurs des crimes d’hier continuent de sĂ©vir aujourd’hui. 

 

Alors que le pays est déchiré par la guerre depuis des décennies, de violents combats ont éclaté le samedi 15 avril 2023, à Khartoum, la capitale du Soudan, et dans plusieurs villes du pays.

 

Une nouvelle escalade de la violence qui oppose les deux hommes forts du pays : le chef d’État de facto Abdel Fattah Al-Bourhane, Ă  la tĂȘte de l’armĂ©e rĂ©guliĂšre (les Forces armĂ©es soudanaises, FAS) et son numĂ©ro 2, le gĂ©nĂ©ral “Hemetti”, chef d’une importante milice paramilitaire (les Forces de soutien rapide, FSR).

 

En 2021, les deux hommes s’étaient alliĂ©s pour renverser le rĂ©gime en place depuis 2019 qui avait mis fin Ă  30 ans de dictature d'Omar El BĂ©chir. Mais leur alliance s’est rĂ©vĂ©lĂ©e fragile. En pleine nĂ©gociation autour de la mise en place du nouveau gouvernement de transition, des tensions ont explosĂ© en raison de dĂ©saccords sur la rĂ©forme des forces de sĂ©curitĂ©. 

 

Depuis l'embrasement du conflit il y a un an :

  • Au moins 14,700 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es et plus de 10,7 millions de personnes ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©es de force en l’espace d'un an.
  • Des millions de personnes sont piĂ©gĂ©es chez elles.
  • Les travailleurs humanitaires ne sont pas en mesure d'acheminer l’aide nĂ©cessaire. 
  • Certaines victimes font Ă©tat d'attaques apparemment indiscriminĂ©es et d'autres sont prises entre deux feux, souvent parce que des combattants ont pris position au milieu de civils, en violation du droit international humanitaire.  
  • Les parties au conflit utilisent des armes lourdes, notamment de l'artillerie, des chars et recours Ă  des bombardements aĂ©riens, dans les zones densĂ©ment peuplĂ©es de Khartoum. 
  • Des rapports font Ă©galement Ă©tat de violences sexuelles commises par des soldats des FSR. 
  • Les souffrances endurĂ©es depuis 20 ans par la population du Darfour sont exacerbĂ©es. Des informations crĂ©dibles laissent penser que les Forces d’appui rapide et les milices alliĂ©es ont tuĂ© ou blessĂ© de nombreux habitant·es au Darfour occidental.

 

Amnesty International est prĂ©occupĂ©e par les informations faisant Ă©tat d’homicides ciblĂ©s en fonction de critĂšres ethniques, de violences sexuelles, de multiples incendies volontaires visant des habitations et du dĂ©placement massif de la population non arabe du Darfour occidental – en particulier dans la ville d’El Geneina et ses environs – dont les Forces d’appui rapide et les milices arabes alliĂ©es seraient responsables. 

Tigere Chagutah, directeur rĂ©gional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe Ă  Amnesty International

Comment en est-on arrivĂ©s lĂ  ? Voici ce qu’il faut savoir sur le conflit au Soudan.
 

Que sait-on des deux forces au pouvoir qui s’affrontent ?  
Vingt-cinq ans aprĂšs sa prise de pouvoir, Ă  la fin d’un rĂšgne marquĂ© par la corruption, les crimes de masse et une faillite Ă©conomique, le prĂ©sident Omar el-BĂ©chir est dĂ©posĂ© par un coup d’Etat, Ă  la suite Ă  une rĂ©volte courageuse, et durement rĂ©primĂ©e de la population civile. A la tĂȘte de cette rĂ©pression, le gĂ©nĂ©ral Mohamed Hamdan Daglo, mieux connu sous le nom de gĂ©nĂ©ral "Hemetti"

 

Le rĂ©gime fini par tomber aprĂšs le putsch militaire orchestrĂ© par le chef de l’armĂ©e Abdel Fattah al Burhan. Un collĂšge composĂ© de militaires - dont le gĂ©nĂ©ral "Hemetti" - et de civils dirige le pays jusqu’en octobre 2021, oĂč l’armĂ©e prend le contrĂŽle complet du pays, et arrĂȘte les principales figures de la sociĂ©tĂ© civile, Ă  commencer par le premier ministre du gouvernement de transition, Abdallah Hamdok.

 

Le gĂ©nĂ©ral Abdel Fattah al-Bourhane, prend la tĂȘte du Conseil de souverainetĂ© de la transition qui gouverne le pays aux cĂŽtĂ©s du gĂ©nĂ©ral "Hemetti". Mais trĂšs vite, les dissensions entre les deux hommes forts du rĂ©gime Ă©mergent. Et en avril 2023, le conflit, inĂ©vitable, finit par Ă©clater. 

 

Les Forces armĂ©es soudanaises (FAS, armĂ©e rĂ©guliĂšre) dirigĂ©es par le gĂ©nĂ©ral Al-Bourhane, et les Forces de soutien rapide (FSR, milice paramilitaire indĂ©pendante) du gĂ©nĂ©ral “Hemetti” sont les deux principales forces armĂ©es du Soudan. Elles ont toutes deux commises de graves violations des droits humains au Soudan, en particulier au Darfour.

 

Les Forces de soutien rapide (FSR) sont notamment composĂ©es d’anciens combattants des milices janjawids qui, dans les annĂ©es 2000, ont aidĂ© les forces armĂ©es soudanaises Ă  Ă©craser la rĂ©bellion dans la rĂ©gion du Darfour.

Ce groupe paramilitaire trÚs puissant, s'est enrichi en acquérant des institutions financiÚres et des réserves d'or soudanaises. On estime qu'il compte entre 70 000 et 150 000 combattants. Son chef, le général "Hemetti", entretient d'importantes relations avec des gouvernements étrangers, russe notamment.

 

Il a conduit les FSR Ă  s'associer au groupe mercenaire Wagner dans l'exploitation de l'or au Soudan, a dĂ©ployĂ© des combattants au YĂ©men pour servir les intĂ©rĂȘts de l'Arabie saoudite et a Ă©galement envoyĂ© des combattants en Libye pour servir les intĂ©rĂȘts des Émirats arabes unis.  

 

Les Forces armĂ©es soudanaises (FAS) ont quant Ă  elles Ă©galement commis de graves violations des droits humains, notamment en utilisant des armes chimiques contre des civils au Darfour, en 2016.  

 

AprĂšs l'Ă©viction d'Omar el-BĂ©chir, en 2019, et le coup d'État d'octobre 2021, les forces de sĂ©curitĂ© soudanaises, y compris les FAS et les FSR, ont continuĂ© Ă  commettre des crimes au regard du droit international et des violations des droits de l'homme, notamment en recourant Ă  une force excessive contre les manifestants, tuant au moins une centaine d'entre eux et en blessant des milliers d'autres depuis le coup d'État.

 

Vingt ans de conflits, vingt ans de souffrances

 

Depuis son indépendance en 1956, le Soudan est secoué par de nombreux conflits internes.

 

Pendant 30 ans, de 1989 Ă  2019, le gouvernement de l’ancien prĂ©sident Omar el BĂ©chir a aggravĂ© la situation du pays. Il a violemment rĂ©primĂ© les droits humains en s’appuyant sur des milices armĂ©es. Certaines se sont muĂ©es en vĂ©ritables partis politiques militarisĂ©s et se battent pour des communautĂ©s ethniques marginalisĂ©es dans les États du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil bleu.  

 

C’est dans ce contexte qu’un conflit particuliĂšrement violent Ă©clate au Darfour, une province Ă  l’ouest du Soudan, en 2003. Le 24 avril, le Mouvement de libĂ©ration du Soudan (MLS) et le Mouvement pour la justice et l’égalitĂ© (MJE) dĂ©clarent la guerre au gouvernement. La rĂ©ponse des forces armĂ©es gouvernementales Ă©paulĂ©es par les milices janjawids, est immĂ©diate et extrĂȘmement brutale. 

 

Une violence extrĂȘme contre la population civile du Darfour

 

  • 300 000morts causĂ©es par le conflit au Darfour entre 2003 et 2020
  • 2 millions de personnes ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©es en raison du conflit au Darfour en 17 ans
  • 15 millions de personnes, soit 1/3 de la population soudanaise, sont confrontĂ©es Ă  une insĂ©curitĂ© alimentaire aiguĂ«

 

Un accord de paix fait renaütre l’espoir


AnnĂ©e aprĂšs annĂ©e, les accords de paix et de cessez-le-feu se suivent, sans succĂšs.   

 

Mais le 11 avril 2019, aprĂšs 16 semaines de manifestations contre son rĂ©gime, Omar el BĂ©chir est destituĂ© par l’armĂ©e. La pression populaire met fin Ă  30 ans de dictature.   

 

Quelques mois plus tard, le 31 aoĂ»t 2020, Ă  Djouba, le nouveau gouvernement soudanais signe un accord de paix qualifiĂ© d’historique avec les reprĂ©sentants du Front rĂ©volutionnaire soudanais, une coalition de neuf formations politiques et groupes armĂ©s issus de diffĂ©rentes rĂ©gions ravagĂ©es par les conflits (Darfour, Kordofan du Sud, Nil bleu). AprĂšs 17 ans de conflit et plus de dix mois de nĂ©gociations, c’est une lueur d’espoir pour des millions de Soudanais.es qui vivent au Darfour, au Kordofan du Sud et dans la rĂ©gion du Nil bleu.  

 

En octobre 2021, nouveau coup d’État militaire. L’armĂ©e rĂ©guliĂšre soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) renversent le gouvernement de transition. Les casques bleus sont partis (2020). La situation humanitaire est toujours dramatique. Un accord de compromis prĂ©voyant un partage du pouvoir entre dirigeants civils et militaires aboutit Ă  la formation d’un gouvernement de transition. Mais les violences se poursuivent au Darfour, malgrĂ© l'accord de paix : exĂ©cutions illĂ©gales, passages Ă  tabac, violences sexuelles, pillages et incendies de villages, etc. 

 

Vingt ans aprĂšs, oĂč en est-on ?

 

Depuis vingt ans, Amnesty International a rassemblĂ© Ă  maintes reprises des preuves de crimes de guerre, de crimes contre l'humanitĂ© et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis par les forces gouvernementales soudanaises, notamment l'homicide illĂ©gal de civils, la destruction illĂ©gale de biens civils, le viol de femmes et de filles, le dĂ©placement forcĂ© de civils, etc. En 2016, nous avons Ă©galement documentĂ© l'utilisation d’armes chimiques par les forces gouvernementales contre des civils, dans la rĂ©gion du Djebel Marra, au Darfour.

 

Vingt ans aprĂšs le dĂ©but du conflit au Darfour, les autoritĂ©s soudanaises ne parviennent toujours pas Ă  protĂ©ger les civils, ni Ă  enquĂȘter sur les crimes commis pendant le conflit et Ă  poursuivre les auteurs prĂ©sumĂ©s. Les civils du Darfour sont pris dans un cycle sans fin d’attaques armĂ©es menĂ©es sans discernement. Ces derniĂšres semaines, des civils ont une fois encore Ă©tĂ© tuĂ©s par des armes lourdes, dans des zones densĂ©ment peuplĂ©es.  

 

Aujourd’hui, les civils du Darfour sont Ă  la merci des forces mĂȘme qui ont commis des crimes contre l’humanitĂ© et des crimes de guerre au Darfour et dans d’autres parties du Soudan

Tigere Chagutah 

Cette spirale de la violence prĂ©sente d’inquiĂ©tantes similitudes avec les crimes de guerre et crimes contre l’humanitĂ© perpĂ©trĂ©s au Darfour depuis 2003. MĂȘme les personnes qui cherchent la sĂ©curitĂ© ne sont pas Ă©pargnĂ©es.

 

Une crise humanitaire insupportable 

 

  •  Un pays au bord de la famine

 

Le pays est en passe de subir la plus grande crise alimentaire au monde. Quelque 18 millions de personnes sont confrontĂ©es Ă  une insĂ©curitĂ© alimentaire aiguĂ« (IPC3+).  

 

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), la malnutrition est en plein essor au Soudan. Quelque 220 000 enfants souffrant de malnutrition sĂ©vĂšre et plus de 7000 nouvelles mĂšres pourraient mourir dans les mois Ă  venir s’ils ne reçoivent pas une aide d’urgence. 

 

« Sans aide humanitaire urgente et un accĂšs aux produits de base », prĂšs de 5 millions de Soudanais.es, dĂ©jĂ  en situation d’urgence alimentaire, « pourraient glisser dans une insĂ©curitĂ© alimentaire catastrophique dans certaines parties du pays (Darfour Ouest et Centre Darfour) dans les prochains mois », alertait mi-mars le chef des opĂ©rations humanitaires de l’ONU Martin Griffiths.  

 

Depuis le 1er janvier 2024, les partenaires humanitaires ont apportĂ© une aide vitale Ă  2,3 millions de personnes. Une goutte d’eau. 

 

De nombreuses personnes ont Ă©tĂ© privĂ©es d'accĂšs aux services de base dans les États de Khartoum, du Darfour et du Kordofan. Les prix des denrĂ©es alimentaires, lorsqu'ils sont disponibles, continuent de grimper en flĂšche.  

 

  • Des millions de dĂ©placĂ©s 

 

Le Soudan connaĂźt aujourd’hui la plus grande crise de dĂ©placement au monde. En 1 an, l’ONU estime que le nombre de personnes dĂ©placĂ©es Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur du pays s’élĂšve Ă  10,7 millions, dont 9 millions de personnes Ă  l'intĂ©rieur du pays.

 

  • 400,000 personnes ont fui vers l'Egypte (source OCHA)
  • 523,431 personnes ont fui vers le Tchad (source OCHA)
  • 509,526 personnes ont fui vers le Soudan du Sud (source OCHA)

 

Il est temps de mettre fin Ă  l’impunitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e

 

  •  Les poursuites en cours

 

Depuis de nombreuses annĂ©es, nous dĂ©nonçons l’absence persistante de justice et rĂ©clamons l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises lors des conflits meurtriers depuis l’indĂ©pendance, et plus rĂ©cemment sous le rĂ©gime d’Omar el BĂ©chir, qui a favorisĂ© la culture de l’impunitĂ© dans le pays.  

 

Il est scandaleux que, vingt ans aprĂšs le dĂ©but du conflit au Darfour, les autoritĂ©s soudanaises continuent de manquer Ă  leurs obligations et que les auteurs des crimes de droit international au Soudan Ă©chappent Ă  la justice. 

 

  •  Une mission d’enquĂȘte cruciale

 

En octobre 2023, les Nations unies ont votĂ© en faveur de la crĂ©ation d’une mission internationale indĂ©pendante d’établissement des faits pour le Soudan. Cette mission d’enquĂȘte a pour mandat d’enquĂȘter sur les violations des droits humains, de prĂ©server les Ă©lĂ©ments de preuve en vue de futures poursuites judiciaires et de se concentrer sur les situations humanitaires et relatives aux droits humains le plus prĂ©occupantes.

 

Malheureusement, cette mission d’enquĂȘte internationale n’a pu pourvoir les 17 postes, y compris d’enquĂȘteurs, en raison du gel des liquiditĂ©s au sein du systĂšme onusien dĂ» au retard ou au non-paiement des contributions par certains Etats.

 

En l’absence d’un nombre suffisant de personnes sur le terrain, la mission aura du mal Ă  mener des enquĂȘtes sĂ©rieuses. 

 

Alors que les mĂ©canismes des droits humains sont de plus en plus malmenĂ©s, la crĂ©ation de la mission internationale d’établissement des faits pour le Soudan a Ă©tĂ© un vĂ©ritable triomphe, mais faute de personnel, elle a Ă©tĂ© minĂ©e dĂšs le dĂ©part. Il faut y remĂ©dier avant qu’il ne soit trop tard

Sarah Jackson, directrice rĂ©gionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

 

Et le temps presse, car son mandat s’achĂšve Ă  la fin de l’annĂ©e. Cette mission internationale est l’une des seules mesures concrĂštes prises pour rĂ©pondre au conflit en cours. Il est crucial qu’elle soit dotĂ©e des moyens nĂ©cessaires pour mener Ă  bien sa mission afin de prĂ©server les preuves et d’identifier les auteurs prĂ©sumĂ©s pour rendre justice aux victimes et Ă  leurs familles. 

 

À l’heure oĂč l’escalade de la violence entre les forces armĂ©es soudanaises et les Forces de soutien rapide s’étend Ă  tout le Soudan, les civils du Darfour continuent de souffrir de l’incapacitĂ© des autoritĂ©s Ă  assurer leur sĂ©curitĂ©, ainsi qu’à rendre justice et Ă  garantir l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre et autres violations commis depuis le dĂ©but du conflit dans cette rĂ©gion, il y a 20 ans. 

 

 

L’impunitĂ© est au cƓur de la crise des droits humains qui ravage le Soudan et il est crucial d’y mettre fin pour l’avenir du pays

Sarah Jackson

 

La communauté internationale, en particulier les Nations unies et le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, doit redoubler d'efforts pour que les responsables des crimes commis au Darfour soient traduits en justice, et pour mettre un terme à cette impunité qui participe des violences actuelles.

 

L'ancien prĂ©sident et d’autres hauts responsables dans le viseur de la CPI  


L'enquĂȘte menĂ©e par la Cour pĂ©nale internationale (CPI) sur le Darfour, lancĂ©e en juin 2005, a conduit Ă  l’ouverture de six affaires devant la CPI. 

 

Les exactions multiples et rĂ©pĂ©tĂ©es des Janjawids dans les annĂ©es 2000 ont notamment valu Ă  Omar el-BĂ©chir d’ĂȘtre poursuivi en 2009 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanitĂ© et de gĂ©nocide par la Cour pĂ©nale internationale (CPI).  

 

Dans sa requĂȘte du 14 juillet 2008, le procureur de la Cour voit un rapport hiĂ©rarchique clair entre el-BĂ©chir et Hemetti. Ce dernier y affirme en effet sans complexe que lui et ses forces ont Ă©tĂ© mobilisĂ©s par le gouvernement soudanais et ont reçu des armes et des munitions. 

 

En dĂ©pit de deux mandats d’arrĂȘts lancĂ©s par le Procureur en mars 2009 et juillet 2010, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanitĂ© et de gĂ©nocide Omar el-BĂ©chir ne sera jamais arrĂȘtĂ©, ni Hemetti officiellement poursuivi. Omar El-BĂ©chir a mĂȘme pu voyager dans des Etats parties Ă  la CPI, en Ouganda en 2016, sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©, et en Afrique du Sud. Dans ce dernier pays, face Ă  la mobilisation de la sociĂ©tĂ© civile et du milieu judiciaire, Omar El-BĂ©chir a cependant Ă©courtĂ© son dĂ©placement. 

 

Pour rappel, le mandat d’arrĂȘt contre Omar el BĂ©chir est l’un des plus anciens lancĂ©s par la CPI. Il s’agit du premier chef d'État en exercice Ă  ĂȘtre recherchĂ© par la CPI au moment de la dĂ©livrance des mandats. Omar el BĂ©chir est inculpĂ© de cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanitĂ©, de deux chefs de crimes de guerre et trois chefs d’accusation de gĂ©nocide pour des crimes commis entre 2003 et 2008.   

 

MalgrĂ© la gravitĂ© des crimes commis, l’impunitĂ© a continuĂ© Ă  rĂ©gner dans au Soudan. Une impunitĂ© qui a eu des effets dĂ©sastreux, en privant les victimes d’un rĂ©el recours Ă  la justice et en amplifiant le sentiment de toute puissance des forces militaires et paramilitaires.  

 

Le procĂšs d’Ali Kosheib, soupçonnĂ© d’avoir Ă©tĂ© le principal dirigeant des milices janjawid, s’est ouvert en avril 2022 devant la Cour pĂ©nale internationale. Cependant, le Soudan n’a pas suffisamment coopĂ©rĂ© avec la CPI : il doit encore lui transfĂ©rer l’ancien prĂ©sident Omar el BĂ©chir et plusieurs autres responsables gouvernementaux. Les autoritĂ©s soudanaises doivent maintenant accĂ©lĂ©rer ces transferts. Ces procĂšs sont indispensables pour garantir la justice et l’obligation de rendre des comptes aux victimes des crimes de haine perpĂ©trĂ©s au Darfour. 

 

Lire aussi : Omar el BĂ©chir sous le coup d’un mandat d’arrĂȘt de la CPI

 

Risque de déstabilisation à l'échelle régionale


Depuis avril 2023, et le début du conflit entre les deux principales forces armées, des centaines de milliers de personnes ont dû quitter leur foyer pour échapper aux violences. De nombreuses personnes ont cherché refuge dans les pays voisins, comme au Tchad, qui a accueilli plus de 600000 personnes, ou en République-Centrafricaine (RCA).

 

« Il existe un facteur de dĂ©stabilisation pour tout ce qui concerne le triangle frontalier Centrafrique/Tchad/Soudan, explique Enrica Picco, directrice de l’International Crisis Group (ICG) pour l’Afrique centrale, interrogĂ©e par Amnesty International France. C’est une rĂ©gion dĂ©jĂ  trĂšs instable trĂšs ouverte au trafic au passage d’hommes armĂ©s, d'armes, de munitions et de tout type de trafics illicites. Donc ce n’est pas nouveau, ce n’est pas quelque chose que le conflit soudanais a introduit, mais Ă©videmment cela a contribuĂ© Ă  aggraver la situation. »  

 

La Centrafrique, qui peine Ă  se sortir de plusieurs dĂ©cennies de conflits armĂ©s, a vu sa situation sanitaire se dĂ©grader depuis avril 2023. Selon le bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires (UNOCHA), « en raison de l'insécurité qui règne le long de la frontière, le trafic entre le Soudan et la République centrafricaine (RCA) a été fortement perturbé, ce qui a entraĂźnĂ©Ì une forte augmentation du prix des produits de première nécessité ». Une inflation qui a eu un impact important sur les conditions de vie des populations.  

 

Plusieurs dizaines de milliers de Soudanais se sont par ailleurs rĂ©fugiĂ©s dans le Nord du pays, et sont venus s’ajouter aux quelques 90 0000 personnes vulnĂ©rables que compte dĂ©jĂ  le nord de la RCA, en proie Ă  des attaques rĂ©guliĂšres de groupes armĂ©s. 

 

« C’est beaucoup, pour la Centrafrique, et il y a une urgence humanitaire au nord du pays, dans la Vakaga notamment, poursuit Enrica Picco. Mais ce n’est rien, comparĂ© Ă  d’autres pays, comme le Tchad, qui a accueilli quelques 600 .000 rĂ©fugiĂ©s depuis 2023. Il faut se rappeler qu'ils s'ajoutent aux 400 000 dĂ©jĂ  prĂ©sents au Tchad depuis la guerre du Darfour, particuliĂšrement dans la rĂ©gion frontaliĂšre du OuaddaĂŻ (Est) ».  

 

Le Tchad accueille donc dĂ©sormais plus d’un million de rĂ©fugiĂ©s soudanais sur son territoire, et doit faire face Ă  des tensions communautaires qui peuvent ĂȘtre ravivĂ©es par ce nouvel afflux de rĂ©fugiĂ©s. « Une des premiĂšres consĂ©quences, explique Enrica Picco, est l'accĂšs Ă  la terre et aux ressources, ainsi que la hausse des prix. Pour construire des camps de rĂ©fugiĂ©s, ils ont dĂ» prendre des champs. Et l’étĂ© dernier, ils ont dĂ» occuper des terres qui Ă©taient dĂ©jĂ  prĂȘtes pour la rĂ©colte. Certains ont perdu toutes leurs rĂ©coltes. Il y a des compensations, bien sĂ»r, mais ça n’est jamais totalement suffisant. La guerre favorise aussi les trafics transfrontaliers.”  

 

Comme souvent, dans les rĂ©gions en conflit ne bĂ©nĂ©ficiant pas d’un intĂ©rĂȘt mĂ©diatique dans la communautĂ© internationale, les financements de l’aide humanitaire peinent Ă  suivre, ce qui accentue encore les risques de mĂ©contentement des populations. D’autres pays, comme la Libye, l’Egypte, l'Ethiopie, ou le Soudan du Sud, sont Ă©galement concernĂ©s par l’impact de la crise soudanaise.

 

Nos demandes :

 

  • En dĂ©cembre 2022, les dirigeants civils et les militaires ont signĂ© un accord-cadre visant Ă  crĂ©er une nouvelle autoritĂ© civile de transition pour une durĂ©e de deux ans. L'accord Ă©tablit comme principe gĂ©nĂ©ral l'obligation de rendre des comptes pour les crimes relevant du droit international et charge l'autoritĂ© de transition de lancer un nouveau processus visant Ă  rendre justice aux victimes et Ă  obliger les auteurs de crimes graves Ă  rendre des comptes. Les autoritĂ©s soudanaises doivent Ă©galement veiller Ă  ce que les responsables de ces crimes ne puissent bĂ©nĂ©ficier ni d'immunitĂ©, ni d'amnistie.

 

  • Les autoritĂ©s soudanaises doivent ratifier au plus vite le Statut de Rome et faire une dĂ©claration reconnaissant la compĂ©tence de la CPI sur leur territoire et leurs ressortissant·e·s, Ă  compter du 1er juillet 2002, afin qu’il n’y ait pas de refuge possible pour les responsables des crimes de droit international commis au Soudan.

 

  • Les autoritĂ©s soudanaises doivent coopĂ©rer pleinement avec la CPI et permettre Ă  ses enquĂȘteurs et enquĂȘtrices de se rendre librement au Soudan et au Darfour, afin d’y recueillir les Ă©lĂ©ments de preuve nĂ©cessaires pour le procĂšs.  

 

URL: https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/soudan-tout-ce-quil-faut-savoir-sur-le-conflit?utm_source=newshebdo&utm_medium=email&utm_campaign=newshebdo-18042024